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Correspondance texte & image entre Julien B & Julien L

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Elle est guérie sa joue ; marron et dure comme ce qui est cuit, mais bien guérie. En novembre 2012, à Turin, on avait sauté du capot d’une voiture, le poussant des deux pieds contre le grill extérieur d’une boucherie. Sa tête casse la vitre du grill et sa joue va contre le dos d’un poulet qui lui grave pour toujours son dessin régulier de points de peau. On l’avait maintenu là plusieurs secondes, visage contre la volaille brûlante, puis l’ennemi avait couru. La broche avait repris ses tours. Mihail Renaud à terre évanoui.

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– Elle disait qu’elle répétait ses gestes de joie. En grand.
– Pourquoi là-haut ?
– Pour pas qu’on la voie.
– C’est raté alors.
– Oui.
– Donc ça s’entraine les mascottes. Je savais pas.
– Ça répète des gestes suivant la commande. Là c’était joie.
– Des fois c’est autre chose ?
– Oui. Tendresse. Sport. Mystère. Ça doit dépendre des contextes.
– Le contexte c’était quoi ?
– J’ai pas su.
– Alors à Turin, y’a un circuit voiture sur le toit de l’usine Fiat ?
– Une boucle carrée.
– Je savais pas tout ça.
– Hé.
– Sa mascotte c’était quelle forme ?
– Mouillée grise ; entre hippo, sale bonhomme et, et, et méga-souris ; tu te figures ?
– Pas trop. Si.

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Dormant sur toute la largeur du trottoir, un goût d’aquarium le réveilla. Une mémère fascisante née en 37 et de pointure aussi 37 avait placé la pointe de son soulier vert vif dans cette bouche ouverte qui dormait. Des passants l’avaient contourné, d’autres l’avaient enjambé ; la dame voulait qu’il se regroupe et passer. Les secousses de soulier en bouche réveillent Mihail. Il se met à genoux, tend vers elle ses mains pour de l’aide, elle se penche et demande s’il parle italien. De sa boucherie le boucher regarde et croit voir qu’on s’accroche au collier de la dame. C’est que la perspective est faussée, de là. Il prend l’un de ses bons couteaux, approche, coupe la main tendue qui tombe et se retourne d’un rebond. Mihail fuyant glisse sa main dans sa poche pour la faire remettre plus tard.

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– C’était dans le sud ?
– Oui. La grotte c’est connu. Ça fait cinq ans que le type il s’est réfugié dedans avec sa fille et qu’il fait descendre des spectacles de mascottes tous les mardis. Et les gens des spectacles remontent ses poubelles.
– De la grotte ?
– Oui de là-dessous.
– Ah.
– On l’a fait le spectacle. Fallait descendre, déjà costumé, par un trajet pas stable : des poignées colorées qui tiennent dans la paroi par une boule. Elles pivotent, certaines. Tous on a tâché nos costumes aux jambes en descendant, on nous a dit que c’était pas grave. En remontant aussi. Ensuite on est repartis à plusieurs, en car.
– Qui les lui descend les vivres ?
– Je sais pas ça, j’ai pas vu. Celui d’en haut peut-être. Le groom qui te paye quand tu remontes, dès qu’on sort. Il a une petite table Lafuma, ça lui fait bureau, on fait la file.
– C’est bien payé ?
– Oui ça va. Et il est gentil, non plus pas con, lui d’en bas.
– Il a de la névrose non pour enfermer comme ça soi et sa fille en sous-sol ?
– C’est juste comme un salon en sombre. Ça longe la surface mais pas profond, y’a du béton au fond de sa goule, c’est le tunnel 2 du Fréjus. Ça la lui vibre, sa grotte. Il y va depuis l’enfance. Et là c’est le tronçon plus récent, ça la lui rétrécit sa grotte, ça fait un dos gris au fond, ça bouche, ça l’obsède j’ai l’impression : d’un coup il se lève, il gueule, il y va, il fait des gifles au sol, au béton, il tape dessus avec sa paume en hurlant des trucs à genoux en Anglais que j’ai pas compris. Ça l’investit tellement que ça le décoiffe.
– Pourtant tu comprends l’Anglais.
– Là c’était comme de l’Apache.
– Et sa fille?
– Elle est toute pâle, les veines qui transparaissent ; elle regarde tout ça pas triste, c’est pour elle les spectacles.
– Et pour leurs poubelles.
– Oui.

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Ne l’ayant plus, il s’est souvenu d’un glissement vers l’aine, sa main, tombée de sa poche quand il courait. Revenu sur ses pas, c’était là l’endroit. Il cherche devant le magasin de fleurs, y entre. La patronne, douce et minutieuse comme l’odeur qu’il y a, est serrée à l’épaule par son fils de 35 ans mentalement faible. Ce calme de famille fleuriste offre une pause aux douleurs de la journée. On salue le visiteur timide en contre-jour. Mais remarquant ce bras qui coule rouge, le fils panique, bouge beaucoup, pleure. Mihail, bras gouttant, ne fait rien que demander si sa main tombée n’est pas ici. La vendeuse change lors des cris que fait son fils, rougit, aboie, chasse le blessé avec un bouquet de roses, le fouettant au visage. Mihail manque d’une main pour se protéger des coups, et du sang brille en traits d’épines sur son front quand il sort.

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– Tu vas au lavabo souvent j’ai remarqué.
– C’est mon oeil crevé. Faut que je le vérifie, c’est prenant. Mais j’accepte. Ça m’a coûté ça. Ça va.
– Tu dis hein si on peut y revenir, juste, elle a pas le droit de rigoler ?
– C’est pas qu’elle a pas le droit. C’est contraignant pour elle de rire parce qu’elle s’évanouit dès qu’elle rigole. C’est son cerveau qui lui fait ça. Faut l’allonger dans des coussins ou au lit, ou sur des planches, là elle peut rire.
– Ça lui dure combien l’inconscience ?
– Une bonne demi-heure. Une fois j’ai compté 34 minutes.
– Faut qu’elle ait confiance. C’est assez pour lui faire le sac et se tirer.
– Oui.
– Elle a de la joie malgré qu’elle en a pas le droit ?
– Son rire contenu c’est la joie des mascottes, qu’elle fait bien. Regarde comme elle m’a remis. Ce bonheur. Cette minceur, la guérison, c’est tout d’elle, elle m’en donne plein. Et pas une clope depuis, alors que elle, elle fume sacrément.
– C’est rare s’évanouir de rire.
– La première fois que j’ai vu faire, elle s’est fait rire toute seule à propos de livres parlés (en déplacement pour son travail, dans les hôtels, elle écoute des livres audio qui ont lieu dans la ville où elle est, en regardant par la fenêtre, c’est son truc. Si ça existe pas pour la ville qu’on lui propose, elle va pas. Elle télécharge ça sur un site. C’est lu par des acteurs connus ou par des mamies qui ont le trac, c’est classé par villes), elle racontait que débutante elle a paradé à Frise, dans la Somme, pour le macadaming des bords du canal. Elle est tombée au canal. Son costume mi-esquimaux (de forme) mi-pré-colombien (de couleur) devait franchir le canal en pirogue pour fêter le macadam neuf, les armistices et aussi l’amitié du village avec le Canada. Tout en une fois. D’en l’air un hélico à 3 têtes la filmait, ça l’a crispée, elle est tombée. C’est pas conseillé la pirogue en mascotte. Pour pagayer ça va, mais si on coule c’est périlleux (là déjà elle souriait mais elle a continué de raconter). Pendant qu’elle se séchait, le fils du maire a lu au micro des bouts d’un roman qui se déroulait là-bas, à Frise. Rien qu’en tournant la tête elle pouvait voir les maisons du livre et des fantômes venus du livre qui frôlaient les habitants actuels sans qu’ils se gênent. C’est là qu’est née sa manie. C’était un roman de guerre avec dans le titre une main coupée. Elle me dit le titre. Elle revoit ma manche sans main, elle s’excuse et elle rigole. Ça lui secoue la tête en arrière, ses yeux qui roulent, elle s’évanouit. Je suis resté à la regarder sans rien faire parce que j’étais fâché.
– Du coup des gifles.
– Même pas. J’ai cru qu’elle faisait mine la première fois. J’ai prévu de fumer une de ses cigarettes alors que j’avais arrêté déjà.  J’arrivais pas à rouler. Elle est miraculeuse évanouie.
– C’est du profond love alors ?
– Ouh oui. Avec un petit ou une petite en route qui se dessine. Dans son ventre.
– Depuis quand ?
– Si je raconte la conception – je veux bien mais – ça fait moi qui parle moi qui parle moi qui parle, ça fait des retrouvailles pas terribles, ça fait des retrouvailles avec un con non ?

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Courir augmentait la perte du sang. De partout on lui souriait croyait-il voir. Heureux qu’au loin on refasse un rectangle de rue, il alla immerger plusieurs minutes son avant-bras dans le goudron coulé pour qu’un bouchon dur scelle provisoirement l’entaille. L’un des réparateurs de rue vient vers Mihail, pour parler. Collé là, Mihail ne lui répond que des i. Un fort coup de pelle au dos l’enfonce un peu plus dans le rectangle tendre. De devant, un coup de tranche de pelle, à l’épaule droite, coupe sa veste à la couture du bras et le projette en arrière. Il se lève, court gentiment vers plus loin, ne saignant plus du bras mais de l’épaule oui par contre. Il avait cet air des déchus de vieux films à qui l’on a troué le chapeau d’un coup de poing avant de le leur remettre.

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– J’ai rien en ce moment qui me rende lyrique.
– C’est volatile. Regarde, au début de cette rue j’étais plan de la ville en main, un touriste qui se ballade dans Turin. 32 minutes après je cherchais l’hôpital sans la main. Et 4 jours plus tard j’aimais quelqu’un. Tout tourne. Ça te reviendra vite. Via dei Semi Neri, cette poissasse d’y être entré par hasard. Tu veux dire quoi quand tu dis lyrique ?
– Quand on mélange tout.
– Et c’est pas bien ?
– Si. J’aimerais bien moi.
– Okay.
– Cette conception alors.
– En public. Ahah. En pleine foule.
– Elle m’inquiète.
– Un autre des plans bien payés sur lequel elle nous a mis, c’était pour un match de basket à Grenoble. D’abord aux arrêts de jeu, fallait danser sur le terrain en lançant des t-shirts à la foule vers oú ça criait le plus, habillé comme un joueur (mais rembourré dans les manches et aux cuisses) avec une tête bleue de poule à travers laquelle moi je voyais rien. Et pour le dernier quart temps, une grosse autruche pour faire de la pub. C’est là qu’on a conçu.
– Dans l’autruche ?
– Oui. On l’a dit à personne, on s’est mis nus à deux dedans. C’était assez large pour que ça se puisse, un gros corps ovale et un grand cou mou avec au bout une tête fâchée de losange. On avait du mal au début, elle un bras dans une aile, moi l’autre, nos jambes ensemble dans les jambes. C’était Gravelines Dunkerque contre Grenoble. Et à trois secondes de la fin, une bagarre entre joueurs. C’était long. Ils se provoquaient, s’étranglaient, voulaient y revenir. Les arbitres qui réfléchissaient si continuer ou pas, qui passaient des appels à la fédération. Alors on a conçu. Parce que ça terminait pas et que fallait rester. Cette grosse forme marrante qu’on était, plus personne la regardait. Notre cou qui pliait avant-arrière tout le monde s’en foutait. On était sur un podium pourtant, en plein dans le gradin.
– C’est rare les bastons au basket.
– Oui ? On nous a dit c’est la coke ça. D’autres disaient c’est l’époque. On est partis vite. Toi tu ?
– Moi je doute. De mon entourage et de tout. J’écoute ce que les gens veulent dire. Quand ils affirment des trucs. J’admire et en même temps je me verrais pas faire autant. Ils essaient des positions verbales je trouve. Après ils oublient et revont bosser. Je parle peu.
– Ah bon.